La voix(e) du vide

Les troubles du comportement alimentaire sont-ils une drogue ?

 


1. La difficulté de s'en sortir


La difficulté de prise en charge des TCA réside dans la fréquence de la rechute (reprise du processus pathologique).


Ainsi, sur une série de 487 malades suivis 10 ans, nous avons relevé une fréquence de rechute ou de perpétuation de la maladie de l'ordre de 47 %, avec en moyenne 2,7 rechutes par malade.


Un fait frappant est que nombre de malades souffrent énormément de leur trouble et veulent s'en sortir. Ils consultent souvent plusieurs médecins pour ce faire. Or, malgré leurs efforts, ils n'arrivent pas toujours, loin s'en faut, à lutter efficacement contre leur trouble du comportement alimentaire.


Un autre fait curieux est que chez un certain nombre d'entre eux, la reprise du processus survient alors même que leur vie a été nettement améliorée par la suppression des symptômes de la maladie. C'est notamment le cas des malades souffrant de boulimie.


Un dernier fait marquant est que bien des malades rechutent alors que « tout va bien » dans leur vie : vacances, relation amoureuse.


Tout ceci amène à penser que les troubles du comportement alimentaire agissent sur les structures fonctionnelles cérébrales « comme une drogue ». Cette hypothèse suggère qu'il s'agirait de conduites addictives, à l'instar du tabac, de l'alcool ou des drogues chimiques classiques (morphine, dérivés de l'héroïne…).


Le but de l'étude qu'a réalisée l'Association AUTREMENT était de tenter de répondre à cette question. Il importe au préalable de rappeler les différentes phases d'un processus d'addiction.


2. Addiction : les phases



On distingue cinq phases dans une addiction :


  1. Induction : un stimulus (une substance, un comportement) induit une réponse hédonique : il y a « récompense » sensorielle, c'est à dire « satisfaction » : le sujet se sent ou « bien » ou « mieux » et associe cette sensation à l'usage de la substance ou du comportement en question.
     
  2. Apprentissage : le sujet intègre les données désirables et indésirables : il s'agit d'un processus conscient, mais non rationnel. Le désirable relève d'une ou d'une série de sensations (euphorie, hallucination, sensation de puissance, relâchement, mieux-être…) et l'indésirable soit de sensations (symptômes physiques comme céphalées, épigastralgies), soit de pensées (morale, danger…).
     
  3. Mise en place : La force des effets désirables pousse le sujet à répéter le stimulus. La longueur de ces deux dernières phases dépend de l'intensité respective des effets désirables et indésirables. Elle dépend aussi de l'intervalle entre le stimulus et ses effets : si l'effet désirable survient rapidement et l'effet indésirable plus longtemps après, le sujet aura tendance à ne prendre en compte que l'effet désirable. Il « passera outre » l'effet indésirable.
     
  4. Une phase de lutte : Le sujet cherche à sortir de sa dépendance : nervosité et sentiment d'échec vont induire des troubles de l'humeur et risquer de renforcer le trouble.
     
  5. Une phase d'acceptation : Le sujet ne lutte plus et même s'oppose à la lutte de ses proches et des soignants: c'est la phase « d'amour », de « consentement » pour la substance ou le comportement addictif !


3. Que sont les troubles du comportement alimentaire (TCA) ?



Les malades ont tous un important manque de confiance en eux. Il faut comprendre qu'initialement, parfois à leur insu, ils peuvent tirer une gratification sensorielle (anorexie mentale, boulimie, compulsions alimentaires) ou sociale (anorexie) de leur maladie.


4. Comment s'inscrivent les TCA dans ce processus ?



4.1. Dans la boulimie et la compulsion, le processus de la crise est une succession de phases



  • La pensée de la crise vient
  • Cette idée envahit le champ de la conscience
  • Elle s'impose, plus rien ne compte…
  • Parfois la malade tente de résister
  • La pensée est là, pourtant, obsédante, toute puissante
  • Et l'angoisse monte, et avec elle, l'irritabilité, la nervosité
  • Et puis vient l'ingestion massive d'aliments en vrac
  • Dans la solitude
  • La certitude de perdre tout contrôle en découle
  • Puis le dégoût de soi-même et la honte

Chez certains malades, la crise est prévue, organisée depuis le matin et immuable depuis des mois ou des années. Chez d'autres, elle répond à une impulsion.


4.2. Et l'anorexie, qui est un jeûne, en quoi est-elle une addiction ?



A première vue, ceci peut surprendre. On voit bien comment on peut se « droguer » au chocolat, mais mal comment on peut être dépendant d'un manque comme le jeûne.


Et pourtant, c'est bien le cas comme l'a montré l'étude qu'a menée l'Association AUTREMENT (voir ci-dessous).


Certains malades (mais pas tous) ressentent, au moins initialement, un bénéfice sensoriel (toute puissance, euphorie, sédation de l'angoisse) et social (gratification du régime et de la perte de poids) à leur restriction alimentaire volontaire. Il en est de même pour l'hyperactivité physique. Certains ressentent même un malaise physique, une vive angoisse et/ou une tendance dépressive à l'arrêt du jeûne ou de l'hyperactivité. Beaucoup disent qu'ils veulent (qu'ils voudraient) s'arrêter, mais qu'ils ne le peuvent pas.


5. L'étude prospective par auto questionnaire



Elle concerne à ce jour 124 malades : 36 anorexiques restrictives, 23 anorexiques boulimiques, 39 boulimiques et 26 compulsives. Les malades ont répondu de façon anonyme à un questionnaire remis en main propre. Il avait été validé préalablement par les membres de conseil scientifique de l'Association et par une dizaine de malades. Il comportait 32 questions, dont des questions en « double inversé » de telle manière à apprécier la fiabilité des réponses.


127 questionnaires ont été distribués. 3 questionnaires ont été éliminés après retour, car les réponses ont paru nettement « erronées ». Aucun des 124 autres questionnaires rendus ne comportait de question non renseignée.


NB : Dans les tableaux ci-dessous, AN : anorexie mentale restrictive ; AN-B : anorexie-boulimie ; B : boulimie ; C : compulsions alimentaires


Sexe, âge et poids
Les malades étaient à 90 % des femmes d'âge jeune. Les anorexiques étaient plus jeunes et plus maigres.


 

Sexe
féminin %

Age
(ans)

Poids
(kg)

IMC
*

AN

94

23

40

14,4

AN-B

100

26

42

15,6

B

100

27

53

19,8

C

90

33

74

27,9


* IMC : indice de masse corporelle (poids sur carré de la taille ;
normale entre 18,5 et 25 kg/(m)2).


Durée d'évolution de la maladie
2/3 des malades avaient une durée d'évolution de + 5 ans.
L'hyperinvestissement (travail « acharné ») est le propre de l'anorexie mentale, dans ses 2 formes.


 

Evolution > 3 ans (%)

Hyperinvestissement
scolaire ou prof. (%)

AN

62

89

AN-B

85

57

B

81

19

C

78

11


Hyperactivité physique (HP), Vomissements spontanés (VS) provoqués (VP), et autres stratégies pour perdre du poids (en pour cent).



HP

VS

VP

Crise ss vomissement

AN

86 %

0

0

0

AN-B

43 %

29

71

6

B

24 %

33

76

12

C

11 %

11

11

98


L'existence de crises de boulimie et/ou de vomissements limite, inhibe ou est antinomique de l'hyperactivité physique (P < 0,001). Cette dernière est la règle en cas d'anorexie restrictive (86 % des cas).


L'existence de crises de boulimie et/ou de vomissements accroît le besoin de stratégies pour perdre du poids (laxatif, diurétique ; P < 0,001), à l'exception de l'hyperactivité physique.


 %

Laxatif

 Diurétique

Anorexigène

Pensée obsédante

AN

19

0

5

62

AN-B

43

7

0

86

B

24

10

10

86

C

0

17

11

50


Pensées et humeurs autour de la maladie au fil du temps


Satisfaction ou plaisir
Le plaisir lié au jeûne, à l'hyperactivité physique ou à la crise d'hyperphagie diminue avec le temps dans tous les types de troubles du comportement alimentaire.


En %

Au début

En pleine
maladie

maintenant

AN

71

33

10

AN-B

93

43

14

B

52

14

10

C

70

47

27


Il en est de même de la sensation de toute puissance que les malades ressentent au début du fait de leur jeûne, de leur l'hyperactivité physique ou de leur crise.


En %

Au début

En pleine
maladie

maintenant

AN

72

48

24

AN-B

86

64

21

B

52

14

5

C

15

23

11


La pensée négative s'accroît au fil du temps : à la question « Je ne sens rien de positif : ni force, ni plaisir, ni valorisation, ni satisfaction », la réponse est plus souvent affirmative en pleine maladie qu'au début, et chez les boulimiques et compulsives que chez les anorexiques restrictives.


En %

Au début

En pleine
maladie

maintenant

AN

0

29

48

AN-B

7

21

36

B

19

57

67

C

11

44

52


Ceci est particulièrement le cas en ce qui concerne la culpabilité, la honte et le sentiment d'être nul(le). En d'autres termes, en pleine maladie, 62 % des anorexiques restrictives se sentent honteuses de leur maladie, mais ne peuvent la lâcher. C'est le cas pour de 60 à 81 % des boulimiques ou compulsives. Le sentiment de nullité est encore plus fréquent.


 

 

Source: www.anorexie-et-boulimie.fr


15/05/2010
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