La voix(e) du vide

Troubles du comportement alimentaire et conduites addictives

 


Par bien des côtés, on peut trouver des liens entre troubles du comportement alimentaire (TCA) et conduites addictives « classiques » (alcoolisme, toxicomanies à diverses substances chimiques). Les liens sont d'ordre épidémiologique, génétique, familiaux, mais aussi et surtout dans le type de fonctionnement des malades.

 

1. Lien entre TCA et conduites addictives



La 1ère publication remonte à 1994 (Bushnell) : elle conclut que les malades souffrant de TCA usent ou abusent deux fois plus que les témoins de substances addictives.


En 1996, Kashubeck et coll ont observé que, dans une population « tout venant » (étudiante), il y avait environ deux fois plus de risque d'avoir un TCA lorsqu'on prenait une de ces substances.


Depuis cette date, six études cliniques (chez des malades) et neuf études de population (lycéens, étudiants à l'université, citoyens) ont toutes trouvé le lien. Enfin, chez des malades en sevrage d'une conduite addictive (alcool, drogues), des TCA atypiques ont été mis en évidence de façon assez fréquente.


2. L'association concerne-t-elle tous les TCA ?



Il semble que l'association touche nettement plus, voire seulement, les TCA avec compulsions alimentaires : anorexie-boulimie, boulimie (à poids normal) ou compulsions alimentaires non vomitives (« binge eating » des anglo-saxons).


En revanche, les malades souffrant d'anorexie mentale restrictive (sans crise et sans vomissements) se « drogueraient » plutôt moins que le reste de la population ou quasi pas. L'alcool est bien sûr chez elles impossible, car trop calorique.


Dans une population étudiante, Piran et coll (2006) ont trouvé 185 cas de TCA atypiques (régime perpétuel, régime+vomissements provoqués, régime+vomissements+crises). Une consommation excessive de tabac, de marijuana, de cocaïne, d'hallucinogènes, de stimulants était notée avec une fréquence élevée pour le tabac (60% vs 40%), la marijuana (50% vs 41%), la cocaïne (12% vs 2%), les hallucinogènes et l'héroïne (18% vs 12%), les amphétamines (16% vs 5%) et l'alcool (6% vs 3%) chez les étudiants TCA que chez les autres à chaque fois qu'il y avait crise alimentaire et/ou vomissements provoqués. Chez des malades suivies à l'hôpital pour TCA, la prise de substances addictives a été trouvée deux fois plus fréquentes (alcool, amphétamine, cocaïne, héroïne) chez les malades anorexiques-boulimiques et chez les malades boulimiques que chez les anorexiques restrictives.


3. Comment cette association s'explique-t-elle ?



Une prédisposition génétique est suggérée par le lien existant entre BDNF (brain-derived neurotropic factor), dont certains allèles sont sur-représentés en cas de TCA et de conduites addictives. Par ailleurs, on trouve plus de conduites addictives (alcoolisme surtout) dans la famille de patients TCA que dans la population. Ceci pourrait être le fait que dans les familles de malades TCA, toutes les formes d'anxiété et les états dépressifs sont plus fréquents que dans la population : ce qui serait transmis serait l'altération de l'humeur. On sait la grande fréquence de ces troubles de l'humeur chez à la fois les malades TCA et les patients souffrant de conduites addictives.


4. Les addictions alimentaires existent-elles ?



L'addiction alimentaire est un ensemble de réponses de type hédonique et comportementales à une stimulation exogène répétitive d'origine alimentaire.


Au sens le plus large, le stimulus est de nature chimique (alcool, aliments...) ou physique (par exemple, l'hyperactivité physique et sportive et l'hyperinvestissement professionnel des malades anorexiques et boulimiques). On retrouve ici ce qui caractérise l'addiction classique : besoin croissant de reproduire les effets désirables du stimulus en question, lutte plus ou moins forte pour y échapper, asservissement puis assouvissement.


L'acte lui-même (la compulsion) est intense et rapide (ingestion compulsive), en règle solitaire. Il peut durer (boulimie) plusieurs heures. Il génère la « culpabilité » et la honte. Dans la période qui suit la crise, le sujet perd pied, se vide et s'oublie plus ou moins profondément. A la phase de « sortie », le soulagement généré par la crise alimentaire s'estompe pour laisser la place à une asthénie, une lassitude, un état dépressif, qui sont aussi la résultante de la forte intensité du stimulus.


L'addiction est caractérisée par des conséquences somatiques, mentales et comportementales à l'administration chronique du stimulus considéré. Il y a un besoin compulsif, lorsque l'idée s'en présente, la pensée en devient obsédante, si on ne le fait pas, on se sent mal à la fois physiquement (malaise, vertiges, troubles digestifs) et psychiquement (asthénie, anxiété, irritabilité). Ces composantes sont bien mises en évidence chez les malades anorexiques restrictifs (pour le jeûne et l'hyperactivité physique) et en cas de boulimie (crises et l'hyperactivité physique) et de compulsions alimentaires (crises).


Les 5 phases des addictions classiques se retrouvent : phase d'induction, d'apprentissage, de mise en place, d'acceptation et de rejet.


1. Induction : un stimulus alimentaire génère une réponse hédonique rapide (quelques secondes) : c'est une « récompense » sensorielle (c'est bon) ou cognitive (c'est bien). Il en résulte une « satisfaction » (d'un besoin).
2. Apprentissage : le sujet « intègre » les réponses positives (désirées) et indésirables. La répétition du couple stimulus-réponse hédonique confirme le lien de causalité et donne l'envie de recommencer. Il s'agit d'un processus conscient et actif, mais non rationnel. La durée de cette phase dépend de l'intensité du stimulus, de la rapidité de la réponse et de l'intensité des effets indésirables.
3. Mise en place : les nouvelles administrations du stimulus, si elles entraînent la reproduction des effets désirables, sans effets indésirables, poussent le sujet à « répéter ».
4. Acceptation : le sujet nie sa dépendance, ne lutte plus et même s'oppose à la lutte de ses proches, de l'entourage et des soignants.
5. Rejet : le sujet prend conscience et cherche à s'en sortir (mais n'en a pas les moyens).


5. Troubles du comportement alimentaire comme conduites d'addiction


Les plus connus des troubles du comportement alimentaire sont la boulimie, les compulsions alimentaires (binge eating) et l'anorexie mentale.


  • La crise boulimique est l'ingestion en un temps court d'une grande quantité d'aliments, sans faim, ni plaisir, avec un violent sentiment de perte de contrôle. La crise est suivie de vomissements provoqués. La boulimie « maladie » associe au moins deux de ces crises par semaine et des stratégies de contrôle du poids (saut de repas, jeûne, hyperactivité physique, laxatifs) ;
  • La compulsion alimentaire est l'ingestion en un temps assez court d'une certaine quantité d'aliments, sans faim, mais avec un certain plaisir, avec un certain sentiment de perte de contrôle. Il n'y a ici ni vomissements provoqués ni de stratégies de contrôle du poids ;
  • L'anorexie mentale est un besoin irrépressible de maigrir, alors que le poids actuel est normal ou même bas. Elle s'associe toujours à une restriction alimentaire et souvent à une hyperactivité physique. Le peu d'estime du malade pour lui-même est mis dans le régime et la maigreur.

Dans le cas de la boulimie, l'ensemble des effets psychosomatiques et les aspects comportementaux répondent tout à fait aux caractéristiques d'une addiction vraie : besoin croissant de faire la crise, impossibilité d'y échapper, perte de contrôle, excitation croissante, assouvissement et phase de culpabilité et d'épuisement, instabilité de l'humeur, anxiété et état dépressif.


Dans le cas des compulsions alimentaires, beaucoup de ces aspects sont retrouvés, mais à un moindre degré.


Dans le cas de l'anorexie mentale, il y a 2 tableaux différents :


  1. L'anorexie-boulimie, où la restriction alimentaire est associée à des crises de vomissements ou de boulimie. Le tableau est alors celui d'une addiction.
  2. Dans la forme restrictive pure de l'anorexie mentale, les choses sont plus complexes : la dépendance se fait au manque de nourriture (à la privation) et à l'hyperinvestissement physique ou professionnel, et en particulier l'hyperactivité physique, notamment postprandiale. On retrouve dans les TCA différents traits qui évoquent une dépendance :

1. La sensation de puissance alimentée par le jeûne ou l'hyperactivité physique (anorexie, boulimie),
2. Un besoin de les poursuivre ou d'y retourner que ne peuvent entraver ni les « bonnes résolutions » ni les conseils de l'entourage (tous les TCA),
3. Une tendance croissante à la déconnexion d'avec la réalité (tous TCA),
4. Un malaise physique mesurable à la reprise de l'alimentation (anorexie),
5. Une sensation d'épuisement ou un état dépressif à l'abandon des crises, du jeûne et de l'hyperactivité,
6. Le refus d'abandonner l'anorexie, qui conduit à la dissimulation et à la banalisation,
7. Le désert social, affectif et sentimental où la maladie plonge les malades au bout d'un certain temps.


6. Conclusion



Il ne fait aucun doute qu'il existe des liens entre TCA et conduites addictives.


L'association TCA - conduites addictives classiques (alcool, drogues) est avérée : il y a plus de TCA (atypiques surtout) chez les patients addictifs et plus de conduites addictives chez les patients TCA.


On retrouve un contexte familial et génétique semblable pour les deux.



Les TCA, dans leur mise en place que dans les pensées et l'humeur qu'ils génèrent, s'apparentent clairement à des conduites addictives.


Il nous reste à trouver des marqueurs pour l'affirmer. Nous connaissons encore mal en effet le substratum anatomique et les médiateurs neuronaux (rôle de la sérotonine, de la DOPAmine et du système GABAergique...) tant des TCA que des conduites d'addiction. La prise en compte de cet aspect « addiction » dans les TCA explique en tout cas bien la grande difficulté de leur prise en charge, leur chronicité, les rechutes et tout le travail comportemental qu'il y a à faire pour en sortir.

 

Source: www.anorexie-et-boulimie.fr



15/05/2010
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